Les PME françaises en Chine

PENG Xiaolong*  


* Directeur général de Long Initiatives (ZH) Co. Ltd..

 

Depuis une vingtaine d’années, la Chine maintient un taux de croissance qui s’élève à 8%. L’Angleterre occupe 2.4% des investissements étrangers, l’Allemagne 1.8% alors que la France ne représente que 1.2% et se voit reléguée au 8e rang. Sur le plan des échanges commerciaux, selon les statistiques de l’année 2003 fournis par la Douane Chinoise, la France occupe la 4e position parmi les pays européens, malgré une augmentation de 60% portant le chiffre à 13.4 milliards de dollars américains. Cela veut dire que la présence française en Chine est loin de correspondre à sa place et au rôle qu’elle joue sur la scène internationale.

1. Les difficultés d’accès des PME françaises au marché chinois

Lors de sa visite en Chine en octobre dernier, le président Chirac a beaucoup parlé des opportunités créées par l’émergence de la Chine pour le partenariat franco-chinois. En effet, les atouts économiques de la France coïncident avec les priorités du développement de l’économie chinoise et les deux pays se ressemblent en ce fait que les PME occupent une place importante dans les structures de l’économie nationale. Les PME françaises ont une possibilité d’entrer en coopération avec leurs partenaires chinois. Si l’on saisit bien cette opportunité pour mettre en valeur l’immense potentiel de coopération entre la Chine et la France, ce sera un jeu gagnant-gagnant. Or, la réalité nous montre que les PME françaises sont peu présentes en Chine. Nous allons essayer d’en donner les explications.

1) La peur des PME françaises

A cause de la distance géographique et des écarts culturels, beaucoup de PME françaises hésitent à mettre leur pied sur le terrain chinois. Ils ne savent pas comment explorer le marché chinois, comment faire suivre le service après-vente, comment s’assurer de la logistique et les lois et les règlements du pays leur échappent. Puis, ce qui tracasse beaucoup les entrepreneurs français, c’est de savoir comment trouver un partenaire chinois de confiance. En effet, certaines PME françaises, devant l’immense marché chinois à la fois fascinant et mystérieux, ont peur: comment ne pas se faire avoir, comment éviter d’être copiées, comment ne pas se laisser entraîner dans un cycle de retour des investissements trop long. L’entrée au marché chinois leur pose problème.

2) Les voies d’accès des PME françaises

En général, les PME françaises empruntent trois voies pour obtenir des informations sur le marché chinois et sur les partenaires chinois: elles recourent à des sociétés de consultance qui leur fournissent des informations demandées et les aident dans la recherche de partenaires chinois; elles peuvent également demander aide à la chambre de commerce et d’industrie qui a pour vocation d’aider les entreprises à se développer à l’étranger. Par exemple, en 1997, la CCIP a créé un comité des échanges franco-chinois ayant pour objectif de fournir aux entreprises françaises à la fois des informations sur le marché chinois et des aides concrètes à leur implantation en Chine. Enfin, le dernier moyen consiste à faire des observations de terrain à travers des expositions, des forums, des rencontres ou des visites organisés par le gouvernement ou des associations.

3) Les problèmes liés aux voies d’accès

Les voies d’accès empruntées par les PME françaises et décrites ci-dessus s’avèrent peu efficaces. Selon nos propres expériences de collaboration avec les PME françaises et des informations que nous avons recueillies à ce sujet, nous pouvons donner quelques explications.

D’abord, les rencontres organisées manquent souvent d’objectifs clairs. Les PME françaises viennent en Chine, souvent subventionnées en partie par le gouvernement local, pour «voir» et les entreprises chinoises participent à ces rencontres également pour «voir». Les unes et les autres n’ont pas d’objectifs précis. Très souvent, le dialogue s’avère difficile car elles ne se trouvent pas exactement dans les mêmes secteurs. Parfois, un premier contact a été établi mais n’a pas été suivi après le retour des Français en France à cause du refroidissement de l’enthousiasme ou des difficultés de communication.

 Puis, les voies d’accès actuellement utilisées par les PME françaises sont trop restreintes. Très souvent, les organismes français comme le consulat, la CCIP ou le PEE ne disposent pas d’informations suffisantes ni sur le nombre des PME chinoises, ni sur leur réseau, ni sur leurs répartitions géographique et professionnelle. Ils présentent la plupart du temps aux PME françaises des entreprises chinoises de grande envergure dont la structure ne correspond pas à celle des PME françaises. En réalité, il existe en Chine des associations des entreprises chinoises par secteurs. Par exemple, l’association de l’entretien et de la réparation des automobiles organise chaque année dans diverses villes chinoises des expositions de pièces dans ce secteur. Ces expositions ont pour objectif de promouvoir l’échange des informations et le développement des entreprises appartenant au même domaine. Elles attirent beaucoup d’entreprises étrangères. Par conséquent, pour trouver le bon partenaire, il faudrait faire appel au réseau chinois du secteur.

Enfin, les PME françaises se contentent souvent de se rendre dans les grandes villes, alors que leurs partenaires se trouvent plutôt dans de petits endroits, car les PME chinoises sont dispersées dans les moyennes ou petites villes. Par exemple, la ville de Zhongshan (province du Guangdong) est un lieu de fabrication important des lampes, la ville de Dongguan (province du Guangdong) est très connue pour ses produits informatiques. Ces endroits regroupent des entreprises du même secteur et constituent non seulement des bases de fabrication mais aussi des marchés importants des matières premières, des accessoires et des équipements.

 

[NextPage]

2. Les PME françaises aux yeux des partenaires chinois

Pour les entrepreneurs chinois, les PME françaises se dotent de trois atouts: d’abord, elles sont capables de fournir des produits de haute technologie, permettant de réduire les coûts liés à la main d’oeuvre et des produits non polluants qui, à long terme, permettent un développement durable. De plus, les PME françaises sont sensibles au changement du marché et savent y réagir rapidement en lançant de nouveaux produits dont le positionnement, le prix et le conditionnement répondent bien aux besoins des consommateurs. Enfin, les PME françaises accordent une grande importance aux relations interpersonnelles avec les partenaires et acceptent de s’investir en temps et en argent dans le service après-vente, dans l’échange des informations et dans la fidélisation des clients.

Tout en admirant l’efficacité et la flexibilité des PME françaises, les partenaires chinois trouvent chez elles trois grands défauts qui constituent dans une certaine mesure des obstacles dans leur implantation en Chine.

Le premier défaut: la réaction lente

Le marché chinois change très vite alors que les PME françaises ont souvent besoin d’un délai assez long pour le lancement d’un nouveau produit, à cause probablement des coûts élevés des mains d’oeuvre et du manque de disponibilité de celles-ci, contrairement à la Chine où les mains d’oeuvre sont bon marché et où l’on peut, si  besoin est, mobiliser en un temps record des ressources humaines nécessaires à l’accomplissement d’une tâche urgente. La conséquence, c’est que quand le produit français arrive sur le marché chinois, celui a déjà changé. Puis, malgré leur prise de décision assez rapide, les PME françaises sont lentes dans les applications comme par exemple le renouvellement de la page Web et des catalogues, la création des publicités, le lancement des échantillons, etc. En plus, les PME françaises sont également lentes dans leur adaptation technique du produit au marché, alors que la promptitude de la modification du produit en fonction du besoin du marché s’avère très importante sur les marchés asiatiques, ce en particulier à Hongkong, à Taiwan et en Chine métropolitaine. Enfin, ce qui agace souvent les entrepreneurs chinois, c’est que les Français sont lents dans les contacts humains: ils ne répondent pas tout de suite aux messages électroniques ni aux questions posées alors que les partenaires chinois attendent une réponse pour décider.

Le deuxième défaut: le manque de connaissance sur le marché chinois et sur la culture chinoise

Certaines PME françaises, avant de venir en Chine, ont peur que leurs techniques soient vite copiées par les Chinois; d’autres, imprégnées de stéréotypes sur les Chinois, trouvent le marché chinois mystérieux, plein de pièges et donc dangereux, d’autres encore, enivrées par le premier accueil chaleureux des entreprises chinoises, se montrent trop optimistes et se préparent peu aux difficultés et aux chocs culturels qui les écrasent avant qu’ils s’installent sur le marché chinois. Puis, les entrepreneurs français semblent peu sensibles à la réalité concrète du marché chinois. Ils se plaignent souvent d’avoir perdu trop de temps en route sans tenir compte du fait que la Chine est immense, que le déplacement entre deux villes équivaut parfois à la traversée de la France et que les moyens de transport en Chine ne sont pas aussi modernes que ceux en France. En plus, les entrepreneurs français aiment souvent imposer aux partenaires chinois leurs propres règles, demandant toujours un délai pour une tâche, un planning pour une activité, un rendez-vous pour une rencontre, alors qu’en Chine, on doit agir et réagir en fonction de la situation et non pas en fonction du plan préétabli. François Jullien a tout à fait raison lorsqu’il parle de l’efficacité chinoise: «plutôt que de dresser un modèle qui serve de norme à son action, le sage chinois est porté à concentrer son attention sur le cours des choses, tel qu’il s’y trouve engagé, pour en déceler la cohérence et profiter de leur évolution» (Jullien, 1996: 28). Enfin, les entrepreneurs français ne sont pas suffisamment conscients du rôle que joue la confiance dans les relations interpersonnelles et commerciales et de l’importance du réseau professionnel. Ils ne comprennent pas pourquoi après la signature, il faut encore offrir des cadeaux aux partenaires, les inviter à manger, leur rendre régulièrement visite, etc., actions dans lesquelles ils ne voient pas clairement les objectifs. Les règles implicites du jeu chinois leur échappent: en Chine, la signature du contrat, loin de signifier la fin d’une coopération, en marque le début; maintenir la relation avec le partenaire en la réchauffant de temps en temps, c’est se préparer aux cas où des problèmes surgissent. S’il l’on attend l’émergence du problème pour inviter le partenaire à manger, c’est déjà trop tard. «Des troupes qui ne cherchent la victoire qu’à l’instant du combat sont battues d’avance.» Car, on l’a compris, le combat n’est qu’un résultat. Il ne fait que manifester au grand jour, par la façon dont il est tranché, la propension qui se trouvait impliquée dans la situation avant même qu’il ait débuté; et c’est parce qu’il s’appuie sur cette propension que le vainqueur, avant même d’engager le combat, est déjà désigné» (Jullien, 1996: 57)

 

[NextPage]

Le troisième défaut: l’attitude ethnocentrique

Pour les Chinois, les entrepreneurs français sont trop sûrs d’eux-mêmes et de leurs produits. Ils semblent penser que les Chinois ne pourraient que succomber à l’attrait de leurs produits et de leurs propositions de partenariat. Ils aiment dire: «la qualité de nos produits est la meilleure», parole qui donne aux Chinois l’impression que les Français sont vantards car en Chine, la qualité du produit ne dépend pas du discours du vendeur, mais d’autres facteurs comme la qualité réelle du produit, de son image et du dire des consommateurs. Puis, les Français prennent parfois une attitude colonialiste. Par exemple, en cherchant à établir une relation de partenariat, ils vous disent: «je viens en Chine pour voir si je peux vous aider», discours presque humiliant pour les Chinois, car dire aider l’autre, c’est le considérer comme inférieur et les Chinois répliquent en intérieur: «il vient gagner de l’argent en Chine et il dit qu’il nous aide». En plus, les Français se comportent souvent comme «professeurs», se donnant le droit d’enseigner les partenaires en disant par exemple: «le mieux pour vous serait de choisir cela»; «ce modèle-là, pour vous, c’est déjà trop bien»; «Il ne faut pas choisir la technologique trop avancée, car cela ne vous sert à rien». Cette attitude missionnaire agace les Chinois, car en Chine, la position de l’acheteur est par définition supérieure à celle du vendeur.

Conclusion

Le marché chinois représente pour les PME françaises à la fois une opportunité et un défi, opportunité parce qu’il s’agit d’un marché immense qui reste à exploiter dans beaucoup de domaines et défi parce que la distance géographique, les différences culturelles ainsi que les concurrences des grandes entreprises constituent autant d’obstacles à l’entrée des PME étrangères en Chine. Nous proposons, en conclusion, une sorte d’alliance entre les PME chinoises et les PME françaises, qui permette un jeu gagnant-gagnant entre les deux parties dont chacune apporte ce qu’elle a de meilleur. Les PME chinoises sont sur le terrain, connaissent la situation et les réseaux de différentes natures et peuvent aider les PME françaises à réduire les coûts liés à l’exploitation du marché chinois ainsi qu’au lancement d’un nouveau produit et à se développer en Chine. Les PME françaises peuvent, de l’autre coté, aider les PME chinoises sur le plan de la technologie, du management ainsi que de la pénétration des marchés étrangers.

Auteur cité vérifié

(Jullien, 1996: 28 Traité de l’efficacité, Paris, Grassat)